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DE JOSEPH DELORME.

— Le vers français, l’alexandrin (tel qu’on l’avait fait en dernier lieu), ressemble assez à une paire de pincettes, brillantes et dorées, mais droites et roides : il ne peut fouiller dans les recoins[1].

— Nos vers modernes sont un peu coupés et articulés à la manière des insectes, mais, comme eux, ils ont des ailes.


X

J’ai entendu critiquer ce vers de Lamartine :

Pareille au grand César, qui, quand l’heure fut prête, etc. ;


et, en général, on reproche à l’école nouvelle son luxe de qui, de que et de quand. Je doute pourtant qu’on en trouve nulle part, chez les poëtes du jour, une aussi riche collection que dans ces quatre vers de Racine, très-passables d’ailleurs à mon gré :

Britannicus est seul :quelque ennui qui le presse,
Il ne voit à son sort que moi qui s’intéresse,
Et n’a pour tous plaisirs, Seigneur, que quelques pleurs
Qui lui font quelquefois oublier ses malheurs.


Cette citation m’a fait relire Britannicus; car, si l’on ouvre une fois Racine, il n’est pas facile de s’en arracher. J’y vois des vers que des critiques trop prompts et superficiels seraient peut-être tentés d’opposer à l’école moderne comme exemples de ces enjambements qu’elle croit avoir renouvelés de Régnier et de Ronsard. Ainsi Burrhus :

  1. Ce mot, qu’on peut lire dans la seconde édition de la Poésie française au seizième siècle (1843, page 61), et que j’ai mis en circulation sous le couvert de Stendhal, avec un léger point d’interrogation, me paraît pouvoir être restitué plus sûrement à Joseph Delorme, qui s’occupait de ces détails techniques autant et plus que personne.