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PENSÉES

c’est, en quelque sorte, le paysage dont Lamartine a fait le ciel, paysage d’une infinie variété et d’une immortelle jeunesse, avec ses forêts verdoyantes, ses blés, ses vignes, ses monts, ses prairies et ses fleuves ; mais le ciel est au-dessus, avec son azur qui change à chaque heure du jour, avec ses horizons indécis, ses ondoyantes lueurs du matin et du soir, et, la nuit, avec ses fleurs d’or dont le lis est jaloux. Il est vrai que, du milieu du paysage, tout en s’y promenant, ou couché à la renverse sur le gazon, on jouit du ciel et de ses merveilleuses beautés, tandis que l’œil humain du haut des nuages, l’œil d’Élie sur son char, ne verrait en bas la terre que comme une masse un peu confuse ; il est vrai encore que le paysage réfléchit le ciel dans ses eaux, dans la goutte de rosée aussi bien que dans le lac immense, tandis que le dôme du ciel ne réfléchit pas les images projetées de la terre. Mais, après tout, le ciel est toujours le ciel, et rien n’en peut abaisser la hauteur.


IX

Un de mes amis a coutume de comparer les vers dithyrambiques d’André Chénier, où les coupes et les enjambements surabondent, à ces combats d’écorchés auxquels s’exerçait l’illustre et infortuné Géricault. Plus tard, si l’artiste avait vécu, il aurait peut-être jeté de la peau sur ces muscles.

— Un autre de mes amis a dit de certaines petites ballades de Victor Hugo, la Chasse du Margrave, le Pas d’armes du roi Jean, que ce sont des vitraux gothiques. On voit à tout instant sur la phrase poétique la brisure du rhythme comme celle de la vitre sur la peinture. C’est impossible autrement. L’essentiel, en ces courtes fantaisies, c’est l’allure, la tournure, la dégaine cléricale, monacale, royale, seigneuriale, du personnage, et sa haute couleur.