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PENSÉES

ciples de madame de Staël laisse peu à dire sur ce sujet, et que les idées en circulation, touchant la vérité locale, la peinture fidèle des caractères, la naïveté des croyances, le cri instinctif et spontané des passions, sont plus qu’il n’en faut au génie, sans pouvoir jamais suffire à la médiocrité. Quant aux détails techniques dont il s’agit, au contraire, le génie n’est pas tenu de les deviner du premier coup, et, lorsqu’on l’en aura averti, il ne sera ni moins grand ni moins libre pour s’y conformer. Les successeurs d’André Chénier, d’ailleurs, sont poëtes avant tout : ils laissent dire à d’autres tout ce qu’on peut dire d’excellent et de général sur l’art sans être artiste et praticien ; ils se contentent d’appeler l’attention sur un petit nombre d’articles de fine et délicate critique dont les poëtes seuls ont conscience, et que, seuls, ils peuvent signaler. Or, à examiner ces articles de très-près, il est difficile, selon moi, de ne pas être de l’avis des poëtes.


IV

Un des premiers soins de l’école[1] d’André Chénier a été de retremper le vers flasque du dix-huitième siècle, et d’assouplir le vers un peu roide et symétrique du dix-septième ; c’est de l’alexandrin surtout qu’il s’agit. Avec la rime riche, la césure mobile et le libre enjambement, elle a pourvu à tout, et s’est créé un instrument à la fois puissant et souple. Ceci pourtant demande quelques restrictions, ou plutôt quelques explications.

1° Même sous le régime de Boileau et de l’Art poétique, le vers du drame (tragédie ou comédie) avait conservé certaines franchises refusées au vers de l’épître, de la satire et de l’élégie.

  1. Ce mot d’école et de disciple qui revient souvent, parce qu’il simplifie le langage, n’implique aucune idée d’imitation servile ; il exprime seulement une certaine communauté de principes et de vues sur l’art.