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POÉSIES

Non pas qu’elle ait, je pense, un cœur capable, au fond,
De sentir le poëte et son amour profond,
Qu’elle vaille bien mieux qu’Adèle ou que Fanie[1],
Ni qu’elle entende fort ce que c’est que génie.
Mais elle est blonde et blanche ; elle a le front brillant,
Et sa bouche, où scintille un ivoire riant,
Comme pour écouter, s’ouvre avec nonchalance ;
Mais elle a deux beaux yeux qui parlent en silence ;
Mais elle sait placer à propos un souris,
Et, quand elle soupire, on croit qu’elle a compris.


LA GRONDERIE


Voici bientôt huit jours qu’un soir, en nous quittant,
Le lendemain du bal où nous causâmes tant,
Vous me disiez : « Ami, demain soyons plus sages ;
« Sachons nous contenir devant tous ces visages ;
« Causons moins, car ma mère enfin devinera.
« Invitez plus souvent ma cousine Eudora,
« Et je veux faire aussi semblant de me distraire
« Avec monsieur Alfred, cet ami de mon frère. »

Et dès le lendemain, amant triste et soumis,
J’observai de mon mieux vos ordres ennemis ;
J’affectai d’être gai, d’avoir l’humeur légère,
De m’éprendre, en valsant, d’une ardeur passagère,
Et, la valse finie, enivré d’un coup d’œil,
De conter mille riens, debout près d’un fauteuil.

  1. C’est bien Fanie que l’on a droit d’écrire. — Petite Fanie, Φανίον en grec, veut dire proprement petite lumière, petit flambeau.