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DE JOSEPH DELORME

Ne laisse pas le frais ombrage
Ni les fruits d’or dans le feuillage
Te voiler le sombre avenir.

Mais, avant que ta nuit s’avance,
Mais dès aujourd’hui, dès ce soir,
Au rivage où, muette, immense,
L’Éternité pour toi commence,
Viens de bonne heure, viens t’asseoir.

Vois-y tomber comme une goutte
Ces ruisseaux au cours incertain,
Portant sur leur mouvante roule
La foule crédule qui doute,
Et sur chaque barque un destin.

Au-dessus, l’éclatante roue
Fait tourner les astres au ciel ;
Et cependant le vent se joue,
Le flot grossit, la barque échoue ;
Chaque astre revient éternel.

Toi, dont la nef est la dernière,
Ô toi, qui chantes et qui ris,
Quand va s’élargir la rivière,
Et que bien loin fuiront derrière
Tapis de mousse et bords fleuris ;

Alors, en la beauté qui passe,
Malheur, si tu croyais encor !
Que faire, hélas ! au sombre espace
Où tout s’abîme, ou tout s’efface,
Si l’on n’a pas une ancre d’or ?

Maître austère aux leçons divines,
Le Devoir gronde par amour ;