Page:Sainte-Beuve - Poésies 1863.djvu/108

Cette page a été validée par deux contributeurs.
98
POÉSIES


Mais dans l’amitié qui nous lie,
Sans te troubler, ne puis-je pas,
À cette heure où rien ne s’oublie,
Mêler à ta jeune folie
Quelques mots sérieux tout bas ?

Et, tandis que l’ombre abaissée
Nous empêche déjà de voir,
Tenant la blanche main pressée,
T’apprendre une grave pensée
Avant le baiser du bonsoir ?

L’Été, — c’est l’Océan qui roule
Des flots dont les bords sont couverts ;
Chaque jour est un flot qui coule,
Et qu’un reflux bientôt refoule
Au gouffre glacé des hivers.

Ainsi, sur cette plage humaine,
Nos jours d’abord montent un peu,
Et l’homme rêve un grand domaine ;
Puis un prompt reflux les remmène ;
Ainsi tu l’as voulu, mon Dieu !

Et nous, égarés dans le rêve,
Nous ne croyons pas au déclin ;
L’arbre, au printemps, reprend sa sève[1],
La fleur chaque avril se relève,
Et notre cœur est toujours plein !

Ô jeune fille, sois plus sage,
Et, quand ton déclin va venir,

  1. Rien ne justifie l’accent aigu sur séve ; on prononce seve avec l’accent grave. Une Académie française qui se serait souciée de la poésie en faisant son Dictionnaire n’aurait pas restreint comme à plaisir le nombre déjà si limité des mots qui riment entre eux, surtout lorsque la prononciation générale n’a rien qui y oblige.