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ENTRETIENS DE GOETHE ET D'ECKERMANN’ 265

n’est que d’avoir éprouvé et observé de près ; lui-même, si attentif et si habile à profiter de tout, il y aurait appris peut-être à s’émouvoir un peu et à évertuer sa nature noble et digne. Pour nous, Français, c'eût été un grand avantage qu’il se fît voir dès lors, et qu’on le connût comme tant d’illustres étrangers deve-nus nôtres : on n’aurait pas eu à le découvrir plus tard à travers Mme de Staël et à l’étudier, à l’épeler graduelle-ment ; il aurait eu son brevet à temps, à son heure. Il aurait été tenté depuis de revenir nous voir vers 1810, et de se rafraîchir dans l’idée de Paris ; on se serait lié avec lui, et lui avec nous ; il y aurait eu échange et prêté-rendu comme avec Alexandre de Humboldt. Au lieu de cela, Gœthe, le plus grand des critiques modernes et de tous les temps (car il a profité des bénéfices de son siècle), est toujours resté pour nous un étranger, un demi-inconnu, une sorte de majestueuse énigme, un Jupiter-Ammon à distance dans son sanctuaire ; et tous les efforts qu’on fait, non pour le populariser (cela ne se pourra jamais), mais pour le naturaliser parmi nous, n’ont réussi jusqu’à présent qu’à demi.

Quelle plus belle occasion pourtant de le connaître presque tout entier que la traduction de ses Œuvres due à la plume élégante et consciencieuse de M. Por-chat ! Celui-ci, ancien professeur et recteur éAca demie de Lausanne, auteur pour son compte d’agréables ouvrages en vers et en prose, consacre la fin de son honorable carrière à faire passer dans notre langue toutes le s productions du vaste génie auquel il s’est