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NOUVEAUX LUNDIS.


LES SÉPARÉS.


N’écris pas. Je suis triste, et je voudrais m’éteindre.
Les beaux étés sans toi, c’est la nuit sans flambeau.
J’ai refermé mes bras qui ne peuvent t’atteindre,
Et frapper à mon cœur, c’est frapper au tombeau.
N’écris pas !

N’écris pas. N’apprenons qu’à mourir à nous-mêmes.
Ne demande qu’à Dieu… qu’à toi, si je t’aimais !
Au fond de ton absence écouter que tu m’aimes,
C’est entendre le ciel sans y monter jamais.
N’écris pas !

N’écris pas. Je te crains ; j’ai peur de ma mémoire :
Elle a gardé ta voix qui m’appelle souvent.
Ne montre pas l’eau vive à qui ne peut la boire.
Une chère écriture est un portrait vivant.
N’écris pas !

N’écris pas ces doux mots que je n’ose plus lire :
Il semble que ta voix les répand sur mon cœur ;
Que je les vois brûler à travers ton sourire ;
Il semble qu’un baiser les empreint sur mon cœur.
N’écris pas !

C’est ainsi que chantait la dernière Valmore dans le ressentiment de ses jeunes et anciennes douleurs. Comparez maintenant avec telle de ses premières élégies : Ma sœur, il est parti ! Ma sœur, il m’abandonne !… ou bien : Emmenez-moi, ma sœur. Dans votre sein cachée, etc. C’est, dans son ordre, la même distance que d’une ode des premiers Recueils de Hugo à l’une des Contemplations. On conçoit que, sous l’impression que laissent de