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MADAME DESBOBDES-VALMORE.

fais pas fi quand il est à sa place et en son lieu. Telle forme de poésie, telle forme de critique.

Mais combien il restait à faire encore à l’aimable et touchante muse pour devenir celle de ses dernières poésies et de ses derniers chants, de ceux surtout qui n’ont paru que depuis sa mort[1] ! C’est la douleur constante et son aiguillon, le travail aussi, l’avertissement de poëtes plus mâles et à la grande aile, les exemples dont elle profita en émule et en sœur, un art caché qu’elle trouva moyen de mêler de plus en plus à ses pleurs et à sa voix, qui opérèrent cette transformation sensible vers 1831 ; environ, et qui l’amenèrent sinon à la perfection de l’œuvre, toujours s’échappant et fuyant par quelque côté, du moins au développement et à l’entier essor des facultés aimantes et brûlantes dont son âme était le foyer. Veut-on mesurer tout d’abord la distance ? En regard des premières poésies, qu’on mette le cri que voici et que j’ai dégagé des brouillons ratures ; car il ne sera pas dit que ce premier article sur Mme Valmore se passera tout en prose et sans qu’il y éclate une note d’elle, une note vibrante, à la Dorval ou plutôt à la Valmore, comme elle seule en avait. Cette note rentre dans le thème qui lui était familier, — le déchirement d’un amour brisé, d’une blessure dont on craint de remuer et de rouvrir la profondeur.

  1. Poésies inédites de Mme Desbordes-Valmore, publiées par M. Gustave Révilliod, imprimées à Genève chez Jules Fick, 1860. — Et qu’on le sache bien, M. Révilliod n’est pas un éditeur, c’est un ami des lettres, libéral et généreux, qui ne se fit éditeur, cette fois, que pour avoir le droit de mettre un prix aux Poésies posthume d’une muse qu’il respectait et admirait.