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si ferme et si sévère, bien qu’élégante toujours, ce style aphoristique en particulier auquel Hippocrate a donné vogue et qu’il semble avoir communiqué depuis à des moralistes eux-mêmes pour graver leurs pensées, il y reconnaît la marque primitive du maître, qui est demeurée sans égale, bien des choses qui, répétées depuis, n’ont plus été exprimées avec le même sens et la même grandeur. « On ne doit pas aller là, dit-il, pour apprendre la médecine ; mais, quand on est pourvu d’une instruction forte et solide, il faut y chercher un complément qui agrandisse l’esprit, affermisse le jugement, excite la méditation, genre de service que tous les livres ne rendent pas. » Modeste pour son auteur comme pour lui-même, on peut trouver qu’il ne le loue que juste assez.

Je regrette que ce ne soit pas ici le lieu d’entrer dans le détail des commentaires si sagaces et si fins qu’il donne de quelques-uns des aphorismes, notamment de ce premier aphorisme si célèbre :

« La vie est courte, l’art est long, l’occasion fugitive, l’expérience trompeuse, le jugement difficile. Il faut non-seulement faire soi-même ce qui convient, mais encore faire que le malade, les assistants et les choses extérieures y concourent. »

Il en tire les inductions les plus légitimes sur la pratique d’Hippocrate en qui il se refuse à ne voir, comme quelques-uns, qu’un observateur diligent, mais inactif, de la marche de la maladie et un médecin expectant. Hippocrate ouvrirait-il son livre par cet avertissement solennel concernant l’occasion fugitive, s’il n’avait été