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morte en bas âge) avait un frère plus jeune, employé, homme instruit, distingué, qui mourut en 1838 ; mais, par une variété ordinaire dans cet ordre physiologique si complexe et si mobile, il ne portait point, je l’ai dit, l’empreinte des mœurs domestiques comme son aîné.

On ne voyait pas, à proprement parler, le monde dans la maison Littré : c’était une officine d’étude, un laboratoire ; domus mea, domus orationis. Émile était externe et suivait, ainsi que son frère, les classes à Louis-le-Grand. Il avait d’ordinaire la première place et tous les prix à la fin de l’année. La première question des parents au retour du collége était : « Quelle place as-tu ? » Rien ne le distrayait d’apprendre. Les amis même, invités les jours de congé, continuaient en quelque sorte l’émula-

    glantes s’engagèrent dans le Midi. Johannot fut emprisonné, et il était détenu à Lyon quand cette cité se souleva. Sa fille vint se loger près de la prison ; elle consolait chaque jour son père et les amis de son père, tous menacés de l’échafaud. Elle sortit quand les troupes de la Convention investirent la ville et, retournant dans son pays, elle décida des paysans et des ouvriers à s’armer : dans son héroïsme filial elle les conduisit elle-même au camp de Dubois-Crancé. La ville prise, elle et sa mère se hâtaient sur la route de Lyon, quand elles rencontrèrent quelqu’un de leur connaissance qui leur annonça que Johannot était mort dans les prisons : cette nouvelle leur perce le cœur ; la mère refuse de faire un pas de plus, la fille veut aller chercher le corps de son père ; elle chemine pleurant ; puis au loin, sur la route, elle aperçoit… son père lui-même vivant et délivré ; qu’on juge des émotions de ces tragédies ! Mais on n’était pas à bout de tragédies. Après le 9 thermidor, dans ce second moment de réaction, Johannot est incarcéré de nouveau et, peu après, sous prétexte de le transférer, on le livre en proie aux fureurs ennemies : il tombe dans la rue assassiné de dix-sept coups de poignard et de pistolet par les compagnies dites de Jésus et du Soleil. Sa fille, se précipitant sur le corps de son père et appelant les habitants et citoyens à la vengeance, devint si menaçante pour l’ordre d’alors que les autorités la firent arrêter. C’était une Romaine.