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qu’ils ne ménageaient pas, et donnant pour la première fois carrière à certaines qualités et facultés poétiques et romanesques que jusqu’alors j’avais comprimées en moi avec souffrance. Je sentais bien par moments le faux d’alentour ; aucun ridicule, aucune exagération ne m’échappait ; mais le talent que je voyais à côté me rendait courage, et je me flattais que ces défauts resteraient un peu le secret de la famille. Hélas ! ils n’ont que trop éclaté depuis à la face de tous. Je m’efforçais cependant, sous forme indirecte (la seule qui fût admise en ce cercle chatouilleux) d’éclairer, de rectifier la marche, d’y apporter des enseignements critiques, et dans la manière dont je présentais mes amis poëtes au public, je tâchais de leur insinuer le vrai sens où ils devaient se prendre eux-mêmes, se diriger pour assurer à leurs talents le plein succès [1]. Et puis au milieu

  1. Sainte-Beuve a dit ailleurs : « Dans mes Portraits, le plus souvent la louange est extérieure, et la critique intestine. »