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se consoler. Ce régime qui s’abîme était proprement le sien ; il s’était compromis à le fonder ; il n’avait pu trouver l’occasion de le relever et de l’honorer comme il aurait voulu, par une administration un peu généreuse et nationale ; il avait droit de compter que ce moment déjà manqué par deux fois (au 22 février et au 1 er mars) lui reviendrait enfin et qu’il aurait son jour. Ce jour lui échappe et il voit la société rouler d’un seul bond sur des pentes où, avec ses habitudes d’esprit et dans son ordre d’idées, il ne peut plus guère espérer de l’atteindre. Ainsi je m’explique les différences

I. Sainte-Beuve ne pouvait prévoir^ quand il écrivit cela, les événements de 1870-1871, qui ont remis les destinées de la France dans les mains de M. Thiers, et ont fait de lui lé président-fondateur de la troisième République. l\ a manqué à Sainte-Beuve d’assister à ces événements effroyables, qui ont rendu cette forme de gouvernement inévitable pour quiconque préfère le salut de son pays à sa ruine. Ce qu’il vient d’avouer plus haut qu’il était d’instinct en 1848, il eût été forcé de l’être de nos jours par devoir et par patriotisme. Le rang où il était allé ss poser de lui-même, en dernier lien, et par conviction, sur le terrain de Popposition philosophique an Sénat et dans le journal le Tçmps, était un poste d’honneur auquel il n’eût pas failli. Sa conscience le déliait envers PEmpire après Sedan : il eût pris fait et cause pour la patrie. Il ne se faisait déjà plus d’illusion lorsqu’il dictait, en 1865, ce portrait des Césars de seconde classe et comme fabri’ qués, qui restent court et à bout de voie devant les quadrilatères {Nouveaux Lundis, t. XIII, p. 461). Lui qui avait à un si haut degré le sentiment de l’honneur national et militaire de la France, et qui l’a exprimé en des termes d’une si chaleureuse indignation dans une belle page sur les résultats de la victoire de Denain, contestés de nos jours par MM. Guizot, Topin et Villemain (Nouveaux Lundis, t. XI, p. 47), comment n’eût-il pas flétri la capitulation honteuse du dernier Napoléon? La révolution de 1848, qui troublait tant à son moment les esprits rassis de la littérature et de la politique, n’avait pas du moins occasionné le démem. brement de la France. J. T.