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empoisonné la douceur du sentiment de famille. Depuis, j’ai eu l’absence, l’isolement au collège ; j’en ai tant souffert, que j’en serais mort si cela avait duré. Alors, j’ai compris qu’il fallait être philosophe et aussitôt j’ai hardiment porté la pierre infernale aux racines trop tendres de mes sentiments, j’ai brûlé, brûlé, j’ai en bonne partie détruit. Je ne sais pas tout à fait comment on abolit les sentiments ; mais je sais des recettes sûres pour les arrêter, les ravager en moi, les empoisonner. Ils ne servent qu’à troubler la vie. Vous voyez que je n’aurais pas dû vous écrire : mais vous autres, pauvre chère madame, vous autres belles dames du monde, vous ne savez pas ce que vous faites en jouant ainsi sans cesse avec les lions et les ours. — Pour en revenir à l’état où je puis, je hais le monde, j’en ai de trop ; si j’avais un pauvre petit avoir à moi, un coin où reposer ma tête, j’y courrais, je