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versité. Je n’examine point si cela est bon ou mauvais pour le résultat, pour le fond des choses, pour la force et l’intégrité des études ; mais enfin, en Belgique, l’ascendant que le clergé catholique possède en certaines provinces est contre-balancé par l’esprit d’autres provinces voisines. Bruxelles, avec son Université libre, fait vis-à-vis à Louvain : Liège y fait contre-poids. Si vous concédiez ici au clergé catholique l’enseignement supérieur et les facultés, laisseriez-vous (par compensation) se former de libres facultés laïques ? laisseriez-vous, à certains jours, se convoquer tout à côté et se tenir d’orageux congrès de Liège ? Évidemment non. Ce qui n’est que liberté en Belgique, envisagé d’ici, vous paraît licence. Vous continueriez, en vertu de certains articles positifs de la loi, de réprimer, de prévenir l’expression ouverte, la profession déclarée et la prédication de doctrines philosophiques que vous considérez comme dangereuses et antisociales. La guerre du clergé et de la science pure, de l’enseignement catholique et de l’enseignement purement philosophique, ne se mènerait donc point de part et d’autre, à armes égales et enseignes déployées. Dans de telles conditions, il ne saurait être raisonnable de faire au clergé cette concession exorbitante dont il userait aussitôt moins dans le sens de la science même que dans l’intérêt de sa propre influence à lui. Lui accorder cette liberté nouvelle serait lui accorder un privilège de plus : je l’estimerais dangereuse et funeste. Que tout soit pour le mieux dans notre système actuel, qu’il n’y ait pas lieu à modifier tel rouage, à lever tel empêchement, à introduire des améliorations secondaires, je suis bien loin de le soutenir. Mais je frémis pourtant lorsque j’entends dire que cette question de liberté d’enseignement est à l’étude ; car le moment est des moins propices ; le quart d’heure est mauvais : on vit sous d’étranges pressions ; je tremblerais pour la science et je me défierais des facilités d’accès qu’on ménagerait désormais aux bien pensants. Il y aurait la science aisée ; comme il y a la dévotion aisée. J’aime la liberté invoquée comme principe, mais je ne me paye pas de mots, et j’aime encore mieux la civilisation qui est le but ; je désire pour la jeunesse française, dans l’ordre des sciences, en présence des jeunesses étrangères, émules et rivales, le plus ferme, le plus sain et le plus viril enseignement. Je suis trop d’accord sur ce point avec l’honorable rapporteur pour insister davantage.

Je vote pour l’ordre du jour.






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