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fesseur d’anatomie pathologique à l’École, où il a succédé à M. Cruveilhier, M. Vulpian, remontant pour la première fois dans sa chaire, a dit devant une salle comble, en face d’un auditoire qui attendait avidement sa réponse à l’attaque où il était intéressé :

« Messieurs, je n’avais pas l’intention de vous parler d’un incident que je voulais laisser tomber dans le mépris ; mais comme vous me paraissez émus, je tiens à vous en dire quelques mots, et je vais vous renseigner immédiatement sur le degré de moralité des pétitionnaires. Le fait qu’on a reproché aux médecins de la Salpêtrière est un mensonge et une pure invention. Du reste, de tels procédés ne nous étonnent pas de la part de gens dont le mot d’ordre est : «  Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose. »

Et le professeur est alors entré dans ce qui fait l’objet de son enseignement.

MM. Axenfeld et Robin, ne faisant de cours que pendant le semestre d’hiver, n’ont pas eu l’occasion, depuis la pétition et le rapport, de s’expliquer et de protester publiquement en ce qui les concernait.

Mais le plus inculpé des honorables professeurs de l’École était M. Sée, professeur de thérapeutique, qui a succédé au docteur Trousseau, et qui, pour cette nomination, quoiqu’il ne fût point agrégé, était appuyé par ce maître respecté et certes au-dessus de tout soupçon, M. Cruveilhier lui-même. Cette circonstance, pourtant, de n’être point agrégé, avait éveillé la susceptibilité d’une partie des élèves, et une autre partie lui était peu favorable pour d’autres raisons. M. Sée est de religion juive ; et en général, messieurs, une fraction exaltée et intolérante en voulait fort (car nous en sommes là) à cette promotion de professeurs faite en décembre 1866. Qu’est-ce en effet ? M. Broca, professeur de pathologie externe ou chirurgicale, est protestant ; M. Axenfeld, d’Odessa, professeur de pathologie interne ou médicale, est de la religion grecque ; M. Sée, je viens de le dire, est israélite. Quelle terrible invasion d’hérétiques, de schismatiques et de mécréants pour une Faculté de médecine !

Donc M. le professeur Sée, au moment où il monta dans sa chaire le 22 mars 1867, à sa première leçon, vit éclater un grand tumulte. D’un côté les cléricaux (puisque c’est leur nom) le repoussaient à grands cris. D’autre part des élèves peu éclairés sur les conditions mêmes de la nomination au professorat, qui n’implique point la nécessité de l’agrégation, croyaient devoir hautement protester. Dans ce tumulte où deux minorités, sans s’être coalisées, faisaient nombre, où chacun prenait au hasard la parole, M. Sée, ferme et impassible, attendait que le moment de parler fût venu. Il est faux qu’il se soit mis sous le patronage de personne, et encore moins sous celui de tels ou tels élèves. Dans un tumulte tout se passe confusément ; on ne dirige rien. Que de pareilles scènes soient infiniment regrettables, comme l’a dit M. le rapporteur, je le sais, — je le sais par expérience et pour y avoir passé moi-même (car j’ai eu aussi, dans mon temps, ma part de ces tempêtes scolaires) [Mouvement] : mais le professeur n’a mérité aucun blâme. Il n’y a eu, quoi qu’on en ait dit, aucune atteinte, du moins par sa faute, à la dignité de la chaire. M. Sée a été ferme, patient, impassible, je le répète, (et non passif), énergique enfin sur le point essentiel qui était de ne point déserter sa chaire sous le coup de l’orage et de lasser les interrupteurs. La leçon a eu lieu. Dès qu’il trouva jour à parler, M. Sée revendiqua son droit d’être écouté au nom de la liberté de conscience et du libre examen. La fermeté et la persuasion agirent et obtinrent de sa part ce qu’en de semblables tumultes scolaires il est toujours excessif et odieux de demander à la force. Il n’eut, dès les premiers mots, à faire d’autre profession de foi qu’une profession scientifique.

Tout ceci est assez important, messieurs, pour que vous en soyez complètement informés, car nous sommes ici au corps du délit et au nœud de la dénonciation. Or, M. Sée, dès le premier moment où il lui fut donné de se faire entendre, a dit (et je redirai, pour m’en être bien informé, ses paroles mêmes dans leurs propres termes ou très-approchants) :

« La médecine empirique, messieurs, a-t-il dit, a fait son temps. Nous