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DE C.-A. SAINTE-BEUVE.

Revue des Deux Mondes, il est absolument à la merci d’un directeur homme de sens, mais d’un sens rude et despotique, que bien nous connaissons.

Une telle idée n’est pas supportable. Dans l’ordre des revues et recueils périodiques, elle est absolument la même que le serait, dans l’ordre des journaux quotidiens, la destruction et suppression du Constitutionnel au profit des Débats.

Cette affaire de Revue gouvernementale a été menée dès l’origine avec une inintelligence et un décousu qui frise vraiment le ridicule. Après avoir adopté la Revue contemporaine, l’avoir patronnée et préconisée par toutes les voix et les organes du ministère, on lui a subitement suscité une rivale, une cadette, qui devait la tuer et l’enterrer, la Revue européenne. Cette dernière Revue, improvisée à grands frais et qui réunissait un groupe d’écrivains distingués, la plupart appartenant à l’Université, s’est vue elle-même détruite un beau jour et confisquée, — réunie, si l’on aime mieux, à l’ancienne et toujours subsistante Revue contemporaine, qui, de la sorte, a repris le dessus et a regagné tout le terrain — je me trompe — non pas tout le terrain perdu, mais une partie seulement. Car, dans l’intervalle et pendant la crise, beaucoup d’écrivains, rédacteurs de la Revue européenne, ont senti le plancher se dérober sous leurs pas, et ont glissé à la mer, c’est-à-dire ont cessé d’écrire, ou bien ils ont passé dans les rangs et les cadres de l’opposition. — Cependant la Revue contemporaine, ainsi adoptée, décréditée, puis recréditée par le ministère, a continué, tant bien que mal, de vivre, d’insérer des articles souvent fort bien faits, d’entretenir des rédacteurs restés fidèles au gouvernement.