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III.

AU MÊME.
Paris, ce 10 octobre 1826.
Mon cher Sellèque,

Il est bien vrai que j’ai été fâché contre toi lorsque tu vins à Paris et que je ne te vis pas : non pas que j’eusse voulu du tout que tu me vinsses voir, étant mal portant et pour si peu de jours ici ; mais tu aurais dû sans façon m’écrire un petit mot pour que j’allasse te voir rue Blanche. Ç’a été ton tort, et, à l’avenir, ne le renouvelle pas. Je pense à toi plus souvent que tu ne crois. Moi-même, je n’ai pas un assez grand fonds de gaieté pour vivre sur le présent, et, comme je n’ai pas d’ailleurs une assez forte dose d’espérance pour me transporter dans l’avenir, c’est sur le passé, de préférence, que je me rejette. Il y a là dedans quelque habitude prématurée de vieillesse, j’en conviens, mais qu’y faire ? Nous autres, qui avons plus d’idées que d’autres choses confortables en ce monde, nous vieillissons de bonne heure ; le regret nous vient avec la plainte, et c’est toujours dans le temps passé que nous voyons le bonheur. Mon grand faible à moi, c’est de croire, en mes instants de rêverie, que jamais je n’eus et n’aurai d’année plus heureuse que celle que je passai rue Blanche, en redoublant ma rhétorique. Dans ce temps-là, qui aurait dit que la