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car, hier matin, jouant avec Charles Neate, qui avait un canif à la main, j’en ai reçu un petit coup dans le gras de la jambe : ce qui, quoique fort peu de chose, suffit pour m’empêcher de marcher, surtout de marcher assez loin pour aller chez toi. J’espère jeudi n’être plus invalide et pouvoir t’aller visiter. Je te porterai une pièce de vers français que j’ai lue hier à M. Landry, car c’était sa fête. On lui a acheté quelques pièces d’argent, moutardier, salières, machine à découper le poisson, pour compléter le porte-huilier qu’on avait donné à madame Landry, il y a deux mois. Il n’y aura pas de bal. Jeudi auront lieu le dîner et la grande promenade. Ma grande promenade à moi, ce sera d’aller rue Notre-Dame-des-Champs[1].

Je te plains d’être aussi mal entouré ; une seule chose doit te consoler : le peu de temps que tu as encore à souffrir. Et puis, sorti de cachot, la liberté te semblera mille fois plus douce. Je félicite, sans le connaître, ton ami d’être parent de notre poëte naissant, et surtout de lui ressembler par l’opinion et le talent. Pour moi, je suis fou de Delavigne, et je crois que, quoiqu’on dise que l’envie s’attache toujours au mérite, il fera exception à la règle et ne sera pas moins aimé qu’admiré de ses contemporains.

Adieu, mon bon ami, songe à moi en attendant que nous nous voyions librement ces vacances, en dépit des consignes et des verrous.

  1. Adam était en pension rue Notre-Dame-des-Champs.