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valet sans condition qui cherche maître. Il n’y a rien de nouveau ici, excepté mille riens qui peuvent se-dire, mais dont on ne se souvient plus dès qu’il s’agit de les écrire. En politique, cela ne va pas trop mal, et, avec quelques années de cet andante et de ce piano, nous sommes à bon port. En littérature, il y a beaucoup de mouvement toujours. Les cours de la Faculté sont rouverts. Villemain fait foule : je ne l’ai pas encore entendu ; il ne sort pas du xviiie siècle, et devra un peu se répéter ; ce sera probablement sa dernière année. Cousin a grand succès, quoique contesté comme tous les succès durables, aux époques de crise et de fondation. Il aborde encore la philosophie du xviiie siècle, et non la grecque, ionienne et dorienne, comme il l’avait annoncé l’année dernière. Il a pensé, et avec raison, qu’à un moment où les vieilles écoles se remuent et se raniment pour pousser un dernier cri, il ne fallait pas quitter le terrain, et il accepte une dernière fois la lutte, en face de Broussais, Daunou et de cette coriace et vivace philosophie dite sensualiste[1].

  1. L’opinion de Sainte-Beuve s’était bien modifiée par la suite, sur l’école dite sensualiste. Il est curieux de rapprocher de cette lettre de sa jeunesse la page suivante qu’il écrivait peu de mois avant sa mort :

    « Une petite iniquité philosophique s’est introduite et s’est consacrée depuis 1817 et dans les années suivantes. M. Cousin, pour désigner l’École adverse du xviiie siècle qui rattachait les idées aux sensations, l’a dénommée l’École sensualiste. Pour être exact, il eût fallu dire sensationniste. Le mot de sensualiste appelle naturellement l’idée d’un matérialisme pratique qui sacrifie aux jouissances des sens ; et, si cela avait pu être vrai de quelques philosophes du xviiie siècle, de La Mettrie ou d’Helvétius par exemple, rien ne s’appliquait moins à Condillac et à tous les honorables disciples sortis de son école, les idéologues d’Auteuil et leurs adhérents, les Thurot, les Daunou, la sobriété même. Mais il est toujours bon de flétrir en passant son adver-