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et si, vu l’éloignement, ils ne peuvent être aussi fréquents qu’autrefois, nous n’en sentirons que mieux le prix. Voilà ce que je me dis à moi-même, mon cher Sellèque, quand je souffre d’esprit (car ce mal m’arrive souvent), et, quoique cela ne me convainque pas toujours, cela me soulage quelquefois.

En vérité, ce sont les seules médecines qu’il nous faut. Quant à toi, en particulier, un bon régime, le plus de promenades au matin et au soir que ton état te le permettra ; quelques visites, s’il en est qui peuvent t’être agréables, sinon reste avec ta femme et ton enfant ; je crois que c’est le parti le plus sage jusqu’à nouvel ordre. Du reste, dis‑moi en détail ce que tu éprouves, et, quoique je ne sois ni ne doive être jamais un malin Esculape[1], je t’indiquerai en ami ce que je te conseille.

Quoique je ne fasse pas grand’chose, je suis fort occupé et sédentaire. Je vais chez M. Landry bien plus rarement que je ne voudrais, et, à vrai dire, je ne vais nulle part depuis que j’ai quitté la pension ; je ne me suis pas fait un nouvel ami, et j’ai eu le chagrin de perdre de vue, sinon de pensée, la plupart de ceux que j’avais, toi et les Neate en particulier. J’ai reçu, il y a quelques jours, une lettre d’Arthur et une autre de Charles. Ils sont vraiment bien heureux et par leur caractère et par leur position. On a beau dire que l’étoffe avec laquelle on fait le bonheur est au dedans de nous : cela est juste si l’on ajoute que ce qui met l’étoffe en œuvre est au dehors. Pour moi, je ne connais

  1. Sainte-Beuve était encore étudiant en médecine, bien qu’il écrivit dans le Globe depuis 1824.