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CAUSERIES DU LUNDI.

autre. C’est par préjugé et par confusion que nous nous accoutumons « à déférer à de certains signes les honneurs dus aux choses signifiées. » Il s’ensuit, d’après lui, que, pour être éloquent, il ne s’agit que de bien penser, de penser fortement, et que la seule exactitude de l’expression amène et nécessite l’éloquence. L’abbé de Pons s’explique les langues comme s’il les composait dans son cabinet ; il transporte aux idiomes naissants et dans leur origine l’explication qui conviendrait à une langue finale, créée de toutes pièces par un Sicard ou par un Volney. C’est en ce sens qu’on a le droit de l’appeler un idéologue. Tout cela est ingénieux, neuf à sa date, mais incomplet et faux par un côté. Ces riches rameaux des langues, venus et mûris sous tant de soleils, ont eu naturellement des fruits différents, et quelques-uns ont porté des fruits d’or. Il y a des mots pleins de lumière et de splendeur ; il y en a qui ont la suavité du miel. André Chénier a eu raison de célébrer

Ce langage sonore aux douceurs souveraines,
Le plus beau qui soit né sur les lèvres humaines.

Lorsque Homère nous montre les vieillards causeurs assis sur les murailles de Troie, au haut des portes Scées, au moment où ils vont louer la beauté d’Hélène, il les compare à des cigales harmonieuses qui chantent posées sur un arbre dans un bois, et exhalent leur voix de lis. Qu’est-ce qu’une voix comparée à un lis, un son à une fleur ? dira un grammairien philosophe des époques tardives. Une voix qui rappelle la blancheur du lis, c’est une voix qui a clarté et douceur, et je ne sais quoi encore qui se marie bien avec des cheveux blancs. Il y a des analogies qui défient l’analyse, des harmonies qui devancent la réflexion. Un sourd et muet, à qui l’on demandait comment il se figurait le son de la trompette,