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CAUSERIES DU LUNDI.

Racine a fait une tragédie, il montre comment, en le traitant narrativement, on pourrait en faire aussi bien un poëme épique. Il rabat de cette pompeuse définition de madame Dacier, et se borne à définir la fable du poème, « le tissu ingénieux des événements et des motifs, qui conduisent à l’action que le poète s’est proposé de célébrer. » Mœurs, caractères, il traite tout cela avec le même esprit de simplification. « Le mot de mœurs, appliqué singulièrement aux personnages du poëme, n’est autre chose que les penchants habituels et les sentiments qui constituent le caractère du personnage. » Le but moral comme l’entend madame Dacier, le but d’instruction expresse, le dessein prémédité de former les mœurs, il ne le voit pas. — cas plus dans Homère que dans Racine :

« Racine, dit-il, n’a pas blessé la morale dans ses tragédies ; je vois bien des gens qui les envisagent comme des poëmes favorables aux mœurs, mais ils ne font pas pour cela donneur à Racine de ne s’être proposé aucune autre fin que l’instruction. La fin générale que s’est proposée Racine dans ses tragédies, c’est le plaisir de ses auditeurs : il a donc voulu plaire, en excitant dans les âmes ces émotions vives qui naissent de l’admiration, de la compassion, de la terreur. »

De même en son temps Homère. Les érudits, à force de subtilités, érigeraient volontiers l’Iliade en catéchisme moral : « Nous n’y cherchons pas de finesses, nous autres bonnes gens ; nous pensons que l’auteur a voulu seulement amuser les Grecs par le récit des exploits guerriers de leurs aïeux. » Et, en général, l’abbé de Pons estime que « dans tous poëmes, soit épiques, soit dramatiques, indistinctement, les poêles se proposent pour fin générale le dessein de tirer l’homme de l’ennui qui le consume lorsqu’il est inoccupé. » Ici il analyse finement l’ennui, dans un esprit de psychologie délicate et restée chrétienne :