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M. RIGAULT.

de la politesse. Je note ce point, et je ne l’invente ni ne le suppose. L’abbé Prévost y insiste et le discute, au sujet même de l’abbé de Pons :

« Je ne sais, dit-il[1], par quel préjugé on s’est persuadé depuis quelque temps que les cafés sont une mauvaise école pour l’esprit et pour le goût. Il est clair qu’on n’en a pas toujours eu cette opinion, puisque des gens du mérite de M. de La Molto et de M. de Pons n’ont pas cru s’avilir en les fréquentant. Mais avaient-ils raison ? et l’idée qu’on paraît s’en former aujourd’hui est-elle plus juste ? Je réponds, dans les termes d’un bon juge, que toute assemblée publique où les bienséances sont observées est une école utile… »

Il continue dans ce sens cette apologie des cafés. Et prenez garde que ce n’est plus l’abbé Prévost, un peu suspect de laisser-aller et de facilité sur le chapitre des mœurs et manières, qui parle en ce moment ; il ne fait qu’emprunter les raisons du sage et poli Addison. J’en conclurai seulement qu’en France, à la date de l’abbé de Pons, ce n’était pas une mauvaise note de fréquenter le café dont La Motte avait fait son salon du matin.

Et puisque nous en sommes à ces petites scènes et à ces historiettes vivantes du passé, représentons-nous bien les lieux et les gens comme ils étaient. La Motte qui demeurait rue Guénégaud, près du quai Conti, très-froid, comme on sait, et exposé au nord, sentait le besoin de chaleur et de soleil en même temps que de conversation ; le quai d’en face les lui offrait ; il avait à lui sa chaise, c’était alors le luxe des demi-fortunes ; « Il se faisait porter, nous dit Voltaire, autre bon témoin, depuis dix heures du matin jusqu’à midi, sur le pavé qui borde la galerie du Louvre, et là il était doucement cuit à un feu de réverbère. » Louvre et café Gradot, cela se touchait. La Motte, vieillard précoce, et frileux comme les vieillards (aprici senes), était de l’avis du grand Frédéric, qui disait : « J’ai manqué ma vocation,

  1. Dans le Pour et Contre, nombre ccvi.