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elle n’avait point d’amour-propre d’auteur : ce n’était qu’un amateur qui avait beaucoup écrit.

Le monde était pour elle un théâtre et comme un champ d’honneur dont elle ne pouvait se séparer ; elle était infatigable à causer, à veiller, à vouloir vivre. Un jour, ou plutôt une nuit, comme les bougies s’étaient plusieurs fois renouvelées et qu’elle sonnait pour en demander d’autres, le valet de chambre qui était à son service, familier comme les anciens domestiques, alla à la fenêtre, ouvrit brusquement les volets, et le soleil du matin entrant : « Vous voulez des lumières, dit-il, en voilà ! »

Dans ses dernières années, elle passait régulièrement une partie de la belle saison à Versailles ; elle s’y était fait une société et était parvenue à animer un coin de cette ville de grandeur mélancolique et de solitude. Elle y avait trouvé, il est vrai, de bien vifs et spirituels auxiliaires ; il suffit de nommer M. Émile Deschamps.

Ce petit nombre de traits qu’on pourrait multiplier font assez voir à quel point madame Sophie Gay était une personne de vigueur et de nature, une de celles qui payèrent le plus constamment leur écot d’esprit, argent comptant, à la société. Ce qu’il faut ajouter pour corriger ce que l’expression paraîtrait avoir de trop énergique, c’est que quelqu’un qui voudrait faire un livre intitulé : l’Esprit de madame Sophie Gay, n’aurait qu’à bien choisir pour le composer d’une suite de bonnes remarques sur le monde et sur les sentiments, d’observations à la fois fines, délicates, naturelles et bien dites.