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a toujours régné depuis entre le ministre, sa femme et madame de La Tournelle. »

Mais laissons ces détails, et prenons madame Sophie Gay dans l’ensemble de son esprit et de sa carrière. Elle s’était de tout temps beaucoup occupée de théâtre, et plusieurs de ses pièces, soit à l’Opéra-Comique, soit au Théâtre-Français, furent représentées avec un certain succès. On se souvient à la Comédie-Française du Marquis de Pomenars (1820). Madame Gay jouait elle-même très bien la comédie en société ; elle aimait à la diriger ; elle était un régisseur excellent. On avait, à cet égard, à profiter de ses conseils : dans une esquisse qu’elle a donnée au salon de mademoiselle Contat, j’ai noté d’elle sur les différentes manières de prendre le rôle d’Elmire des remarques pleines de vérité et d’analyse morale.

Les personnes qui, comme madame Gay, vivent jusqu’à la fin et vieillissent dans le monde, sans se donner de répit et sans se retirer un seul instant, échappent difficilement à la longue, et malgré tout l’esprit qu’elles ne cessent d’avoir, à une certaine sévérité ou à une certaine indifférence. Je voudrais, dans les éloges qu’on peut lui accorder, en choisir quelques-uns qui parussent incontestables. Personne éminemment sociable, si elle menait de front trop de goûts à la fois, et qui même se nuisaient entre eux, on doit dire qu’elle ne sacrifiait jamais le goût de l’esprit. Elle en avait en elle un fonds qu’elle n’épuisa jamais. Il était impossible qu’une conversation dont elle était tombât dans le nul ou dans le commun ; toujours elle la relevait par une saillie, une gaieté, un trait d’ironie ou de satire, ou même un mot d’une douce philosophie. Vers la fin, elle promettait quelquefois à ses amis qu’elle irait mourir chez eux : « Je ne veux pas que cette demoiselle (disait-elle de la mort) me trouve seule. » Ne lui demandez pas dans