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Les femmes, pour peu qu’elles écrivent et qu’elles marquent, portent très-bien en elles le cachet des époques diverses, et, si l’on voulait désigner en leurs personnes les périodes successives de Louis XVI, du Directoire et de l’Empire, de la Restauration et du régime de Louis-Philippe, on arriverait à quelques aperçus de mœurs qui ne tromperaient pas.

Sous Louis XVI, la femme, la jeune femme qui écrit ou qui rêve, est sentimentale, d’un sentimentalisme qui tient à la fois de Jean-Jacques et de Berquin, qui s’embellit de Florian ou de Gessner, et s’enchante de Bernardin. Elle ne pense qu’à élever ses enfants selon les vrais principes, à concilier l’amour et la vertu, la nature et le devoir ; à faire dans ses terres des actes de bienfaisance dont elle ne manque pas d’écrire aussitôt le récit, afin de jouir de ses propres larmes, — des larmes du sentiment. C’est là l’idéal ; un amant, comme toujours, y trouve son compte ; mais il faut qu’il se déguise en berger ou en vertueux. Les romans de Mme de Souza (pour prendre un type très-distingué) ont été sinon écrits, du moins rêvés sous Louis XVI.

Sous le Directoire, on est dans un tout autre monde, dans une vogue toute différente. Une belle impudeur y règne, on y affiche des principes hardis, et les moutons, bien qu’il s’en rencontre encore par les chemins, sont en train de disparaître. Avec le Consulat et l’Empire, la femme militaire paraît, celle qui aime franchement la gloire, qui l’admire et qui s’honore de la récompenser ; qui a les sentiments en dehors, la parure d’éclat, le front haut, les épaules éblouissantes, l’esprit (quand elle en a) franc, naturel et pas trop compliqué. Comme la société pourtant et le cœur aiment les contrastes, il se mêlera, à cet amour avoué de la gloire et des exploits, des airs de rêverie et de romance.

La Restauration arrive : donnez-lui le temps de s’as-