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moyens d’arriver au bonheur, le plus sûr (pour une jeune fille qui sort du couvent) est celui que choisit la prévoyante tendresse d’un père. »

Dans ce roman gracieux, où il n’entre rien que de choisi et où elle a semé de fines observations de société et de cœur, madame Gay s’est montrée une digne émule des Riccoboni et des Souza[1].

Son troisième roman, Anatole (1815), est encore du même ton et a eu peut-être plus de célébrité, bien que je préfère Léonie. Anatole est de l’espèce des romans-anecdotes dont la donnée repose sur une infirmité ou une bizarrerie de la nature : ainsi, Ourika de madame de Duras, Aloïs de M. de Custine, le Mutilé de M. Saintine. Anatole, le beau silencieux, est un sourd-muet de naissance, mais on ne le sait pas d’abord, et c’est là qu’est le secret. Un soir, au sortir de l’Opéra, il sauve la vie de Valentine, de madame de Saverny, qui allait être écrasée sous les pieds des chevaux ; lui-même est blessé et disparaît. Celle qu’il a sauvée, jeune veuve, pleine de beauté et d’une rare délicatesse de sentiments, le fait

  1. Léonie de Montbreuse était dédiée, dans la pensée de madame Gay, à sa fille madame la comtesse de Canclaux, née du premier mariage. Voici les vers faciles et maternels qu’elle avait écrits en tête de l’exemplaire donné à madame de Canclaux, qui venait de se marier au moment où le roman parut :
    À MA FILLE AGLAÉ.

    Comme un doux souvenir, accepte cet ouvrage.
    Tu sais que pour toi seule il fut imaginé ;
    Alors que du malheur nous ressentions l’outrage,
        À te distraire il était destiné.
    Parfois de ses chagrins tu plaignais Léonie,
    Et, sans les imiter, tu riais de ses torts ;
    Plus sage en tes projets, sans ruse, sans efforts,
    Tu m’a laissé le soin du bonheur de ta vie.
    Le choix de cet époux qui devait te chérir
    À ma tendresse fut confié par toi-même ;
    Je le vois t’adorer presque autant que je t’aime,
    et ce que j’ai rêvé, tu viens de l’accomplir.