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çons de Méhul ; elle composait des romances, musique et paroles. Le vicomte de Ségur avait pour elle une amitié coquette ; le chevalier de Boutlers lui apprenait le goût ; mais elle ne s’en tenait pas à des aperçus timides, et, sa nature l’emportant, elle prit bientôt la plume. Le premier usage qu’elle en fît fut d’écrire en laveur de la grande gloire controversée du jour, en laveur de madame de Staël.

Le roman de Delphine venait de paraître, et soulevait bien des questions et des querelles. Madame Gay, sous le masque et par une lettre insérée dans un journal, prit parti ; elle brisa une lance. Le premier roman qu’on a d’elle, et qui date de ce temps, porte également témoignage de ses opinions et de ses couleurs. Laure d’Estell, publiée en l’an X (1802) par Madame***, en trois volumes, n’est pas un bon roman, mais il y a déjà des parties assez distinguées. Une jeune femme, orpheline et veuve à vingt ans, se retire dans un château, chez sa belle-sœur, pour s’y livrer à son deuil d’Artémise auprès du mausolée de son époux, et s’occuper de l’éducation de sa fille. Elle y trouve, ainsi que dans un château voisin, une société qui lui donne occasion de développer par lettres à une amie ses principes et ses maximes. Madame de Genlis y est fort maltraitée : elle figure dans ce roman sous le nom de madame de Gercourt, sentencieuse, pédante, adroite et flatteuse, visant k une perfection méthodique, fort suspecte de mettre « les vices en action et les vertus en préceptes. » L’héroïne du roman, Laure, s’y félicite de partager l’antipathie de madame de Gercourt « avec deux femmes d’un grand mérite, dont les opinions, dit-elle, ont quelque rapport avec les miennes. » Ces deux femmes sont, la première, madame de Staël, et la seconde, je crois, madame de Flahaut. En contraste de madame de Gercourt et d’un abbé de sa connaissance, qui joue un fort