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Lundi, 26 avril 1852.


MADAME SOPHIE GAY

La mort nous dicte des sujets d’étude dont quelques-uns sont des devoirs. Un critique qui est, comme nous le sommes, à son poste de chaque semaine, ne saurait laisser passer, sans les saluer, les pertes les plus remarquables que font la littérature et la société. Madame Sophie Gay, morte à Paris le 5 mars dernier, a été une personne de trop d’esprit et trop distinguée dans les Lettres pour être ensevelie en silence. Elle a beaucoup écrit, et, en ce moment, je n’ai guère moins d’une quarantaine de volumes d’elle rangés sur ma table, romans, contes, comédies, esquisses de société, souvenirs de salons, et tout cela se fait lire, quelquefois avec un vif intérêt, toujours sans ennui. Mais madame Gay était bien autre chose encore qu’une personne qui écrivait, c’était une femme qui vivait, qui causait, qui prenait part à toutes les vogues du monde depuis plus de cinquante ans, qui y mettait du sien jusqu’à sa dernière heure. Elle eut, vers le milieu de sa carrière, un bonheur dont toutes les mères qui écrivent ne se seraient pas accommodées : elle eut des filles qui l’égalèrent par l’esprit, et dont l’une la surpassa par le talent. La mère de madame Émile de Girardin présida longtemps aux succès et à la renommée poétique de sa fille ; elle en reçut des reflets