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CAUSERIES DU LUNDI


Parfois, comme un soupir de leur âme brûlante,
Du sein des épis lourds qui murmurent entre eux,
Une ondulation majestueuse et lente
S’éveille, et va mourir à l’horizon poudreux.

Non loin, quelques bœufs blancs, couchés parmi les herbes,
Bavent avec lenteur sur leurs fanons épais,
Et suivent de leurs yeux languissants et superbes
Le songe intérieur qu’ils n’achèvent jamais.

Homme, si, le cœur plein de joie ou d’amertume,
Tu passais vers midi dans les champs radieux,
Fuis ! la nature est vide et le soleil consume :
Rien n’est vivant ici, rien n’est triste ou joyeux.

Mais si, désabusé des larmes et du rire,
Altéré de l’oubli de ce monde agité,
Tu veux, ne sachant plus pardonner ou maudire,
Goûter une suprême et morne volupté,

Viens ! Le soleil te parle en paroles sublimes ;
Dans sa flamme implacable absorbe-toi sans fin ;
Et retourne à pas lents vers les cités infimes,
Le cœur trempé sept fois dans le néant divin.


Dans cette dernière partie, le poëte, en traduisant le sentiment suprême du désabusement humain, et en l’associant, en le confondant ainsi avec celui qu’il prête à la nature, a quitté le paysage du midi de l’Europe, et a fait un pas vers l’Inde. Qu’il ne s’y absorbe pas.

Chacun de ces poëtes que j’effleure en passant, mériterait une étude ; mais on doit comprendre maintenant qu’une poésie, dont la culture offre de ces variétés à chaque pas, n’est pas morte. Et pour ceux qui voudraient des vers gracieux et aimables, comme on disait autrefois, j’en sais aussi à leur indiquer ; il est encore des vers spirituels et amoureux, vifs et légers, d’une gaieté nuancée de sentiment. Un jeune ami, qui n’est pas loin de moi, et qui n’est encore connu du public que par une édition d’Hégésippe Moreau, M. Oc-