Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, V, 3e éd.djvu/407

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
397
DE LA POÉSIE ET DES POÈTES

et de la lecture familière des poètes grecs, il a su en combiner l’imitation avec une pensée philosophique plus avancée et avec un sentiment très-présent de la nature. Sa Grèce à lui, c’est celle d’Alexandrie, comme pour M. de Laprade ; et M. de Lisle l’élargit encore et la reporte plus haut vers l’Orient. On ne saurait rendre l’ampleur et le procédé habituel de cette poésie, si on ne l’a entendue dans son récitatif lent et majestueux ; c’est un flot large et continu, une poésie amante de l’idéal, et dont l’expression est toute faite aussi pour des lèvres harmonieuses et amies du nombre. Je pourrais en détacher des tableaux pleins de suavité et d’éblouissement, les amours de Léda et du Cygne sur l’Eurotas, le Jugement de Pâris sur l’Ida entre les trois déesses ; mais j’aime mieux, comme indication originale, donner ici la pièce intitulée Midi. Le poète a voulu rendre l’impression profonde de cette heure immobile et brûlante sous les climats méridionaux, par exemple dans la Campagne romaine. C’est la gravité solennelle d’un paysage du Poussin, avec plus de lumière :

MIDI.


Midi, roi des Étés, épandu sur la plaine,
Tombe en nappes d’argent des hauteurs du ciel bleu.
Tout se tait. L’air flamboie et brûle sans haleine ;
La terre est assoupie en sa robe de feu.

L’étendue est immense et les champs n’ont point d’ombre,
Et la source est tarie où buvaient les troupeaux ;
La lointaine forêt, dont la lisière est sombre,
Dort là-bas, immobile, en un pesant repos.

Seuls, les grands blés mûris, tels qu’une mer dorée,
Se déroulent au loin, dédaigneux du sommeil ;
Pacifiques enfants de la terre sacrée,
Ils épuisent sans peur la coupe du soleil.