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DE LA POÉSIE ET DES POÈTES

lier, et l’on dirait qu’il a eu autrefois une des sylphides des bords du Rhin pour marraine.

Il est impossible de passer auprès de ces poètes de l’ancien Artiste et de la nouvelle Revue de Paris sans remarquer et saluer au milieu d’eux M. Théophile Gautier, qui se plaît à déployer plus que jamais dans ses rimes de sculpteur ou de peintre les opulences de la nature corporelle et de la matière vivante ; c’est le luxe et la floraison du genre porté au dernier degré de l’épanouissement. Dans cette Revue de Paris, madame Émile de Girardin insérait l’autre jour sur la Nuit des vers tout de cœur, et qui ont le mérite d’être vrais.

La vérité, voilà ce que le poëte doit chercher avant tout de nos jours, car les formes, les couleurs, le rhythme, tout cela est assez facile à emprunter. Cette poésie banale, travaillée par les maîtres, presque usée par les disciples, est en quelque sorte dans l’air ; on peut s’en saisir et ne pas, pour cela, savoir se donner l’accent particulier et qui distingue. On adopte de propos délibéré un genre, on en outre tout, et l’on n’est qu’imitateur et copiste. On l’était, il y a quinze et vingt ans, lorsqu’on ramassait dans ses vers les épis tombés des gerbes de Lamartine ; on l’est aujourd’hui quand on ramasse les bouts de cigares d’Alfred de Musset.

Melœnis, Conte romain (1851), par M. Louis Bouilhet, reproduit trop visiblement (j’en demande bien pardon au jeune auteur) le ton, les formes et le genre de boutades de Mardoche. M. Paul Deltuf, dans des Idylles antiques (1851) et des élégies fermes et gracieuses, m’a paru se rattacher plus heureusement à André Chénier, et sans s’y enchaîner. Ce que j’ai lu depuis de ce jeune poëte me l’a montré de plus en plus en voie de se dégager ; avec la facture dont il dispose déjà habilement, il a un noble désir.

Dans l’ordre des productions dramatiques, M. Pon-