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il compare très-bien le trait d’éloquence non préparé au coup de tonnerre qui éclate dans un ciel serein. Il n’abuse jamais du procédé de Diderot qui consiste à refaire à sa manière ce qu’il critique, mais il use à son tour du droit d’un maître en indiquant comment on aurait pu faire mieux. Le plan qu’il trace d’une Oraison funèbre de Turenne, par opposition à celle de Fléchier, a de la beauté et de la grandeur, et on sent qu’il l’aurait su exécuter. Des souvenirs personnels, quelques anecdotes introduites à propos, viennent consoler de la continuité des préceptes sans en distraire. Les chefs-d’œuvre de la chaire sont présentés, analysés en grand, et il n’oublie pas les particularités qui peuvent en éclaircir et en faire valoir quelques effets déjà inaperçus. C’est chez Maury qu’on trouve pour la première fois le Père Bridaine dessiné dans toute sa hauteur et son originalité. Mais Maury a fait mieux que de découvrir le Père Bridaine, il a remis à leur place Bossuet, Bourdaloue, les vrais classiques de la chaire. Sa critique de Massillon a paru sévère ; elle était hardie au moment où il la fit, et elle n’est que juste. En général, c’est cette justesse, cette solidité, qui me frappent chez Maury, dans une matière qu’il possède à fond. Ne lui demandez ni grande finesse, ni grande nouveauté, ni curiosité vive ; mais il est large, il est plein, il va au principal ; il s’entend à poser l’architecture et les grandes avenues du discours ; il les démontre en maître chez les maîtres. Bossuet encore était aisé, ce semble, à saisir et à manifester, à cause des éclairs qui signalent sa marche, mais Bourdaloue, plus égal et plus modéré, nul ne l’a plus admirablement compris et défini que l’abbé Maury, dans la beauté et la fécondité incomparable de ses desseins et de ses plans, qui lui semblent des conceptions uniques, dans cet art, dans cet empire de gouvernement du discours, où il est sans rival, « dans cette puissance de dialectique, cette marche didactique et ferme, cette force toujours croissante, cette logique exacte et serrée, cette éloquence continue du raisonnement, dans cette sûreté enfin et cette opulence de doctrine. » Il est inépuisable ainsi à le reproduire et à l’exposer dans toutes ses qualités saines. On sent que c’est là son idéal préféré. Cette intelligence profonde de Bourdaloue me semble le chef-d’œuvre critique de Maury.

Mais, tandis que le Traité du cardinal Maury nous recom-