Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, III, 3e éd.djvu/46

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
Lundi 21 octobre 1850

QU’EST-CE QU’UN CLASSIQUE ?

Question délicate et dont, selon les âges et les saisons, on aurait pu donner des solutions assez diverses. Un homme d’esprit me la propose aujourd’hui, et je veux essayer sinon de la résoudre, du moins de l’examiner et de l’agiter devant nos lecteurs, ne fût-ce que pour les engager eux-mêmes à y répondre et pour éclaircir là-dessus, si je puis, leur idée et la mienne. Et pourquoi ne se hasarderait-on pas de temps en temps dans la critique à traiter quelques-uns de ces sujets qui ne sont pas personnels, où l’on parle non plus de quelqu’un, mais de quelque chose, et dont nos voisins, les Anglais, ont si bien réussi à faire tout un genre sous le titre modeste d’Essais ? Il est vrai que, pour traiter de tels sujets qui sont toujours un peu abstraits et moraux, il convient de parler dans le calme, d’être sûr de son attention et de celle des autres, et de saisir un de ces quarts d’heure de silence, de modération et de loisir, qui sont rarement accordés à notre aimable France, et que son brillant génie est impatient à supporter, même quand elle veut être sage et qu’elle ne fait plus de révolutions.
Un classique, d’après la définition ordinaire, c’est un auteur ancien, déjà consacré dans l’admiration, et qui fait autorité en son genre. Le mot classique, pris en ce sens, commence à paraître chez les Romains. Chez eux