Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, III, 3e éd.djvu/396

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Charles X, l’insurrection de la Grèce, tous les beaux thèmes du moment. On la vit un jour, au haut de la coupole du Panthéon, réciter son Hymne à sainte Geneviève, en l’honneur des peintures de Gros. Dans un voyage qu’elle fit à Rome en 1827, elle fut reçue au Capitole membre de l’Académie du Tibre ; elle fit ensuite, comme Corinne toujours, le pèlerinage du Cap Misène. Tout cela donna prétexte de dire autour d’elle et lui donna l’idée à elle-même qu’elle n’était pas seulement une Muse élégiaque, mais aussi la Muse de la Patrie, Quelques pièces de vers publiées par elle dans ces dernières années nous montrent qu’elle n’est pas encore complètement guérie de cette idée-là, et qu’il y a des moments où elle parle comme si elle avait réellement manié dès le berceau l’épée de Charlemagne.

Revenons et demandons-nous, quand on relit aujourd’hui ces Poésies de la première manière de Mme de Girardin, ce qu’il en faut penser.

Je dis première manière, car Mme de Girardin a déjà eu trois manières, s’il vous plaît, trois formes poétiques distinctes : la première forme, régulière, classique, brillante et sonore, qu’on peut rapporter à Soumet ; la seconde forme, qui date de Napoline, plus libre, plus fringante, avec la coupe moderne, et où Musset intervient ; la troisième forme enfin, qu’elle a déployée dans Cléopâtre, et où elle ose au besoin tout ce que se permet en versification le drame moderne. Il est remarquable que les femmes, si habiles et si maîtresses qu’elles soient, trouvent rarement leur forme elles-mêmes ; elles en usent bien, mais elles l’ont empruntée à un autre. De ces trois formes, disons que la première, celle de Racine vu à travers Soumet, serait celle que suivrait de préférence et le plus naturellement Mme de Girardin, si elle était livrée à elle-même.