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ou un chant de Madeleine, ou son Élégie (tant de fois refaite) sur le Bonheur d’être belle, et dites s’il n’y avait pas de quoi rendre les armes et de quoi être ébloui.

Les poètes surtout, ceux qui se groupaient dans le Recueil de la Muse française, Guiraud, Vigny, Hugo, Deschamps, aimaient alors à prédire à Delphine, comme on l’appelait tout fraternellement, la couronne de l’Élégie lyrique : « Son talent tout jeune, me dit un de ces fidèles témoins que j’ai voulu interroger pour être juste, nous paraissait devoir être un mélange de vigueur masculine avec une sensibilité de femme du monde, plus affectée des choses de la société que des spectacles de la nature ; plus nerveuse que tendre, plus douloureuse que mélancolique : le tout marchant de concert avec beaucoup d’esprit réel, sans prétentions, et se manifestant sous une forme de versification pure, correcte, savante même et assez neuve alors. Soumet paraissait être son modèle. » Et l’on répétait autour d’elle ce nom de Corinne qu’elle invoquait sans cesse :

Elle chante et, devant son écharpe légère,
Corinne courbairait l’orgueil de son laurier.

La Corinne de Mme de Staël était, en effet, le grand idéal alors pour toute femme célèbre. Mlle Delphine Gay, qui était déjà par son nom de baptême une sœur de Corinne, voulait plus et mieux ; elle voulait égaler et rivaliser en tout cette sœur de génie, et elle s’y appliqua avec une sincérité visible en ces années du début. Distinguée et couronnée par l’Académie française en 1822 pour avoir chanté le dévouement des Sœurs de Sainte-Camille pendant la peste de Barcelone, Mlle Gay ne cessa de célébrer depuis en vers tous les événements publics importants, les solennités monarchiques ou patriotiques, la mort du général Foy, le sacre de