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Ajoutons vite que si elle se dit fière et orgueilleuse, que si elle se sait belle, et que si elle se regardait souvent, elle restait gaie, franche d’abord, sans grimace aucune, vive et même naïve dans les mouvements, bonne enfant, disent tous ceux qui l’ont connue alors (Lamartine disait bien d’elle un jour : C’est un bon garçon !) ; enfin, aussi naturelle dans le factice, aussi vraie dans le faux qu’on le peut être. C’est alors qu’on la vit, qu’on la fit poser et se dessiner en muse, et qu’on la salua sous sa forme de Corinne.

« Oui, me répète avec conviction un témoin aimable et des plus spirituels de ce moment, oui, elle était à la fois belle, simple, inspirée comme la Muse, rieuse et bonne enfant (c’est le mot unanime), et telle qu’elle a peint plus tard sa Napoline, c’est-à-dire encore elle-même.

Naïve en sa gaieté, rieuse et point méchante ;

disant les vers avec élégance et un air de grandeur comme elle les faisait alors. Ceci est ressemblant, tenez-vous-en pour sûr, autant que le portrait d’Hersent, où elle a cette écharpe bleu-clair couleur de ses yeux. »

C’est ainsi qu’elle est longtemps restée dans l’idée de ceux qui l’ont vue sous le rayon. Représentez-vous à une grande soirée de la duchesse de Duras, ou mieux à une brillante matinée du château de Lormois, chez la duchesse de Maillé, en plein soleil d’été, cette enfant rieuse, avec sa profusion de cheveux blonds et ce luxe de vie qui donne la joie, échappée dans le parc, bondissant et courant, puis rappelée tout à coup, et dans le plus élégant des salons, devant le plus recherché des mondes, récitant des vers d’un air grave, avec un front d’inspirée, un profil légèrement accusé de Muse antique, avec un timbre de voix précis et sonore, récitant