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Ton âme et tes talents, voilà tes justes droits ! Dans toi seule aujourd’hui l’on adore à la fois L’auteur, l’ouvrage et les actrices !

Voilà pourtant jusqu’où la passion entraînait le critique en titre, l’homme de goût de ce temps-là. Les railleurs, les ennemis du critique (et il n’en manquait pas), les envieux du bel-esprit gouverneur, s’égayaient là-dessus, comme bien l’on pense ; les couplets ne tarissaient pas, et ce nom de La Harpe, qui faisait un singulier à-propos au talent célèbre de Mme de Genlis sur la harpe, prêtait, à toutes sortes de calembours.

La Harpe, au reste, paya cher cette courte faveur ; il se brouilla avec Mme de Genlis, qui le mit, sous le nom de Damoville, dans un conte satirique où elle s’attaquait à tous les littérateurs philosophes du temps, et où elle se vengeait de l’Académie qui n’avait pas couronné l’un de ses ouvrages : c’était assez son habitude de traduire ainsi les gens dans ses livres quand elle se brouillait avec eux.

Un jour Mme de Genlis assistait avec ses élèves, au Théâtre-Français, à une représentation des Femmes savantes. En entendant ces deux vers :

Elles veulent écrire et devenir auteurs…, Et céans, beaucoup plus qu’en aucun lieu du monde,

tout le public, dit-on, se prit à applaudir en la regardant.

Revenons au sérieux, et en présence de cette multitude d’œuvres, de traités, de romans, qui ne feraient pas moins de. cent volumes, tâchons de dégager notre point de vue et de le simplifier. On peut distinguer en Mme de Genlis écrivain quatre époques, car elle vécut quatre-vingt-quatre ans, et ne mourut qu’à la fin d’oc-