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tude de sa vocation. Elle allait pouvoir élever comme elle l’entendait, non-seulement de jeunes filles, mais de jeunes hommes et des princes, dont l’un est devenu roi. C’est ici qu’il est véritablement curieux de l’observer, et qu’il convient de lui rendre la justice qui lui est due.

On serait pourtant trop incomplet à ce sujet, si l’on ne disait quelque chose des épigrammes qui commencèrent dès lors à l’assaillir. La plupart sont de nature à ne pouvoir être reproduites, mais il en est qu’il n’est pas interdit de rappeler. Imaginez qu’à cette époque, et par une sorte d’attrait qui rapprochait la fleur des pédants de la fleur des pédantes, La Harpe devint amoureux d’elle : c’est à croire à l’influence des étoiles. Mme de Genlis nous assure que le petit homme voulut être entreprenant, mais qu’elle sut le remettre à sa place : ce sont de ces choses qu’il faut toujours croire des femmes, même quand elles ne le disent pas, à plus forte raison quand elles le disent. Pourtant La Harpe le critique était bel et bien amoureux. Dans sa Correspondance d’alors il parle de Mme de Genlis comme de « la femme de Paris qui a peut-être le plus d’esprit. » Il n’a pas assez de louanges pour célébrer les petites pièces du Théâtre de Société ou d’Éducation que Mme de Genlis composait à cette époque et faisait jouer à ses propres filles : c’étaient de petites comédies morales où il n’entrait jamais ni rôle d’homme, ni intrigue d’amour. La Harpe, à qui la prose ne suffisait plus pour exhaler son enthousiasme, s’écriait en vers :

Ton art, belle Genlis, l’emportant sur le nôtre. Ne fait parler qu’un sexe et charme l’un et l’autre. Quel ensemble enchanteur ! quel spectacle charmant 1 Mon cœur est encor plein du plus pur sentiment. Digne mère, jouis, jouis de ces délices.