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dait dans mes lectures : je faisais des extraits ; j’avais trouvé dans les offices un grand in-folio destiné à écrire les comptes de la cuisine ; je m’en étais emparée, et j’écrivis dans ce livre un journal très-détaillé de mes occupations et de mes réflexions, avec l’intention de le donner à ma mère quand il serait rempli. J’y écrivais tous les jours quelques lignes, et quelquefois des pages entières. Ne négligeant aucun genre d’instruction, je tâchais de me mettre au fait des travaux champêtres et de ceux du jardinage ; j’allais voir faire le cidre ; j’allais aussi visiter tous les ouvriers du village lorsqu’ils travaillaient, le menuisier, le tisserand, le vannier, etc. J’apprenais à jouer au billard et quelques jeux de cartes, le piquet, le reversi, etc. M. de Genlis dessinait parfaitement à la plume la figure et le paysage ; je commençai à dessiner et à peindre des fleurs. J’écrivais beaucoup de lettres : tous les jours à ma mère, trois fois la semaine à Mme de Montesson, quelquefois à M^s de Bellevau, et assez souvent à Mme de Baliucour. Eu outre, j’avais un commerce de lettres très-suivi avec une dame que j’avais vue à…, etc., etc. »

Ouf ! je m’arrête ; on voit que je n’exagère rien : on n a jamais été plus décidément ècriveuse que Mme de Genlis ; elle offre le type de la race, mais sans rien d’exclusif ; l’écritoire n’est qu’un de ses instruments. Elle sait tout faire et comment tout se fait, elle s’entend au cidre comme à la harpe. Elle veut être propre à tout et qu’on puisse dire d’elle comme de Gil Blas:« Vous avez l’outil universel. » Jamais on n’a eu à un moindre degré cette pudeur sur la science que Fénelon recommande aux femmes et qu’il leur voudrait vive et délicate, presque à l’égal des autres pudeurs. Mais tout ce qu’elle apprenait là en ce moment, remarquez-le bien, elle le rendra tout à l’heure à d’autres; car, si elle a la passion d’apprendre, elle a surtout la verve d’enseigner.

A propos de cette manie encyclopédique qui la posséda de tout temps et qui ne fit que s’accroître avec les années, un de ses spirituels amis disait : « Elle se réserve de refaire l’Encyclopédie dans sa vieillesse. »

En attendant, jeune mariée et à peine enceinte, vite elle écrivait un livre intitulé Réflexions d’une Mère de