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départ de la Bourgogne. On voit qu’elle ne sortait d’un déguisement que pour entrer dans un autre, et que la nature en elle était toujours masquée et travestie. Ces impressions premières laissèrent de longues traces dans une imagination qui n’avait pas assez d’originalité et de vigueur propre pour les repousser et s’en guérir ; elles passèrent jusqu’à un certain point dans ses systèmes d’éducation, qui se présentèrent toujours le plus volontiers avec un mélange de travestissement et de théâtre. Dans sa vieillesse, la complaisance même avec laquelle elle se mit à raconter et à décrire toutes ces puérilités romanesques, en ayant l’air d’en sourire, prouve au contraire qu’elle n’en fut jamais corrigée.

Grâce à Dieu, nous n’écrivons point sa vie ; ce serait une tâche trop délicate, trop périlleuse. Venue à Paris pour s’y fixer, vers l’âge de douze ou treize ans ( 1758), à la suite d’un revers de fortune, elle y débuta sur le pied d’un petit prodige et d’une rare virtuose : musette, clavecin, viole, mandoline, guitare, elle jouait de tout à merveille, mais la harpe était de préférence son instrument. La méthode d’en jouer était encore dans l’enfance : Mme de Genlis, avec sa facilité et son adresse naturelle, en réforma et en perfectionna le doigté. On la voit dès lors douée de cette activité méthodique qui ne laisse échapper aucune parcelle du temps sans lui demander tribut, et qui met tout à profit pour l’étude, pour l’acquisition et la superficie d’étendue des connaissances. Ouvrages de main, ouvrages d’esprit, récitation par cœur de vers et de prose, enregistrement de chaque anecdote, de chaque aventure de société, dont elle fera bientôt quelque comédie ou quelque nouvelle, et avec cela sept ou huit heures de harpe par jour, elle suffit à tout, et encore à plaire, à charmer les sociétés qui l’admirent. Quelque opinion qu’on puisse garder d’elle en