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CAUSERIES DU LUNDI.

temps. Les amateurs qui suivent depuis deux ans les ventes publiques savent bien si, de ce côté, le cours a fléchi le moins du monde. Cette Bourse-là a tenu mieux que l’autre. Hier encore, malgré l’élection du 28 avril[1], tel petit livre du xvie siècle s’est vendu plus cher, plus follement cher qu’en pleine monarchie. Il n’est rien de tel que la passion pour trouver à tout prix de quoi se satisfaire, surtout quand il entre dans la passion un brin de manie.

Les poètes ont employé ce mot de manie avec honneur, et il est bien entendu que c’est dans ce sens que je l’emploie ici. La Société des Bibliophiles (je reviens à elle) a donc été instituée « pour entretenir et propager le goût des livres, pour publier ou reproduire les ouvrages inédits ou rares, surtout ceux qui peuvent intéresser l’histoire, la littérature ou la langue, et pour perpétuer dans ses publications les traditions de l’ancienne imprimerie française. » Elle n’a pas manqué jusqu’ici à son programme. Elle a publié, de 1820 à 1834, sept volumes de Mélanges, qui contiennent des pièces du moyen-âge, des lettres ou opuscules de personnages célèbres. Le seul inconvénient de ces premiers volumes de Mélanges, c’est d’être à peu près introuvables pour le vulgaire des lecteurs ; car ils n’ont été tirés qu’à un très-petit nombre d’exemplaires, et pour autant de têtes seulement qu’il y avait de membres. La Société a publié depuis lors (1844) un magnifique recueil de gravures représentant les Cartes à jouer de tous les pays du monde. Elle est entrée, à dater de ce moment, dans une voie de publication plus large, plus ouverte et à la portée de tous ; elle a eu raison. Il faut en ce siècle faire la

  1. Quelque élection, déjà oubliée, et qui semblait ultra-démocratique.