moitié du genre humain, jusque-là contenue et assez discrète ; l’enthousiasme du sexe, pour lui, fut sans exemple. Comment décrire cette insurrection universelle qui éclata après la Nouvelle Héloïse, après l’Émile (1759-1702), qui devança la Révolution de 89, et qui déjà, de loin, la préparait ? Mme de Staël, Mme Roland, ne figureront-elles pas bientôt en première ligne dans le cortège de ce que j’appelle les femmes de Jean-Jacques ? Plus modeste ou moins en vue, non moins généreuse et dévouée, Mme de La Tour-Franqueville fut une des premières ; elle ouvre la marche, et elle mérite qu’on lui fasse une place à part dans la renommée de celui à qui elle s’est consacrée.
Qu’était-ce que cette Mme de La Tour ? Elle a occupé les bibliographes de Rousseau, car lui, l’ingrat qu’il est, il n’en a pas dit un mot dans ses Confessions. Ce qu’on sait, on le doit à M. Musset-Pathay, à M. de La Porte, auteur d’une Notice sur elle ; M. Ravenel me fournit des notes précises qui corrigent et complètent les renseignements des premiers. Elle se nommait Marie-Anne Merlet de Franquevilie ; son père était dans la finance. Née à Paris le 7 novembre 1730 (c’est la date exacte, relevée sur les actes officiels), elle avait épousé en juillet 1751 M. Alissan de La Tour, homme de finance également ; il était receveur-général et payeur de l’Hôtel-de-Ville de Paris. Elle avait près de trente ans à l’époque où parut la Nouvelle Héloïse : c’est l’âge où les plus sages des femmes commencent à oser. Mme de La Tour avait une amie intime dont on ignore le nom ; ces deux femmes, en lisant le roman nouveau, crurent se reconnaître, l’une dans le personnage de Claire, l’autre dans celui de Julie : elles se récrièrent d’étonnement et de plaisir. Claire surtout, plus vive, n’hésita pas à déclarer que son amie était Julie toute pure et dans la perfection, Julie