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PLINE LE NATURALISTE.

papier Grand-Aigle ?) : « Le papyrus, ajoute Pline, est sujet aussi à manquer. Il y eut, sous le règne de Tibère, une disette de papier, au point qu’il fallut nommer des sénateurs pour en régler la distribution ; autrement les relations de la vie auraient été troublées. » Oh ! que voilà donc une disette qui nous viendrait bien à propos ! Mais de telles choses n’arrivaient que sous Tibère, et nous n’avons plus à espérer de ces bonheurs-là aujourd’hui.

Après avoir, en nomenclateur infatigable, épuisé le catalogue de la nature, de tout ce qu’elle produit et qu’elle enferme en son sein, et des arts nombreux qui en dérivent, Pline s’arrête et conclut par ce petit hymne final : « Salut, ô Nature, mère de toutes choses ! et à nous, qui, seul entre tous les Romains, t’avons complètement célébrée, sois favorable ! »

C’était pour ajouter une observation de plus à son grand ouvrage, qu’étant à Misène à la tête de la flotte, au moment où l’éruption du Vésuve se déclara, Pline alla droit au péril, pour y saisir de plus près ce mystère des causes dont il était si curieux. Il avait toujours estimé « qu’une mort subite est la dernière félicité de la vie. » Il fut servi à souhait, et il périt suffoqué au milieu du tumulte des éléments. C’est dans ce rôle d’observateur intrépide que la postérité aime à le voir encore, expirant sur le rivage, ses tablettes à côté de lui. Il faut relire ce récit de sa mort dans la célèbre lettre que son neveu écrivit à Tacite sur ce sujet.

Ce neveu, élevé, adopté par lui, et dont la mémoire ne saurait se séparer de la sienne, est une des figures les plus aimables et, à notre égard, (si l’on peut dire) les plus modernes de l’antiquité. Ses Lettres, que chacun peut lire dans l’agréable traduction de Sacy, nous offrent tous les détails de la vie publique, de la vie domestique