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PLINE LE NATURALISTE.

Sylla, le premier de sa race, voulut être brûlé à sa mort ; car il craignait, par représailles, d’être déterré un jour comme il avait fait déterrer le cadavre de Marius. Telle fut la préoccupation dernière de cet homme, le seul qui se soit proclamé heureux.

À côté et comme en regard de César, Pline exalte Cicéron, celui qu’il appelle le flambeau des Lettres. Il faut voir dans le texte (car les meilleures traductions sont pâles en ces endroits) avec quelle effusion il célèbre ce beau génie, le seul que le peuple romain ait produit de vraiment égal à son empire : « Je te salue, ô toi, s’écrie-t-il, qui le premier fus nommé Père de la patrie, toi qui le premier méritas le triomphe sans quitter la toge… » À quelques livres de là nous apprenons à regret que le fils indigne de l’illustre orateur était un buveur éhonté ; qu’il se vantait d’avaler d’un seul trait des mesures de vin immenses ; qu’un jour qu’il était ivre, il jeta une coupe à la tête d’Agrippa : « Sans doute, dit ironiquement Pline, ce Cicéron voulait enlever à Marc-Antoine, meurtrier de son père, la palme du buveur. »

Le livre de Pline sur l’Homme est rempli de particularités, d’anecdotes intéressantes et qu’on ne trouve que là. Il va faisant un choix dans l’élite humaine et prélevant en chaque genre, comme il dit, la fleur des mortels. La gloire du génie le préoccupe et y tient une grande place. Il nous apprend que Ménandre, le prince des poètes comiques, à qui les rois d’Égypte et de Macédoine rendaient un si bel hommage en le demandant avec une flotte et des ambassadeurs, refusa leurs offres, et s’honora encore davantage en préférant le sentiment littéraire, la conscience des Lettres (c’est le mot de Pline), à la faveur des rois.

Pendant que les Lacédémoniens assiégeaient Athènes, Bacchus, dit Pline, apparut plus d’une fois en songe à