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CAUSERIES DU LUNDI.

D’admirables pages, d’une éclatante polémique, quelques-unes même qui sont pleines de vérité, si on les détache de ce qui les précède et de ce qui les inspire, ne sauraient dissimuler l’ensemble des résultats. Après avoir, dans la première moitié de sa vie politique, poussé la Restauration dans le sens de l’ultra-royalisme, M. de Chateaubriand, dans la seconde moitié, l’a attaquée par un brusque volte-face avec toutes les forces du libéralisme, groupées autour de lui ; et, dans ce duel où un même homme a fait le double rôle, elle a fini par se briser. Elle se fût brisée sans lui très-probablement, mais plus que personne il peut se vanter d’y avoir mis la main.

Et il s’en vante en effet. Que lui importe ? il a eu sa part, ce qu’il voulait avant tout, les plus beaux rôles, et le plaisir d’en faire fi, et de dire qu’il en aurait eu un bien plus beau encore si l’on avait voulu. Il a été à la tête de toutes les grandes questions monarchiques ou populaires de son temps ; il les a menées comme on mène volontiers les choses en ce pays de France, c’est-à-dire à côté du port et tout autrement qu’à bonne fin. Mais, encore un coup, qu’est-ce que cela lui fait ? Il s’est entendu applaudir, chaque matin, des deux côtés ; il a eu les fanfares des deux camps.

La Restauration tombée, M. de Chateaubriand, dans cet amour des beaux rôles, crut se devoir à lui-même de lui demeurer fidèle, tout en proclamant, dans l’oraison funèbre qu’il prononça sur elle à la Chambre des pairs, qu’elle s’était perdue par la conspiration de l’hypocrisie et de la bêtise. « Après tout, a-t-il écrit de la branche aînée, c’est une monarchie tombée ; il en tombera bien d’autres ! Nous ne lui devions que notre fidélité : elle l’a. » Et il n’a cessé de redoubler ses duretés, en même temps que de proclamer ses serments.