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CHATEAUBRIAND.

ment. Les quarante premiers chapitres du livre sont consacrés à développer les principes du gouvernement représentatif, et ces principes sont en général les véritables, les principes orthodoxes constitutionnels. Mais ce traité préliminaire ne fait que cacher l’arme du parti qui ressort dans la seconde moitié. La Monarchie selon la Charte n’est qu’un pamphlet ultra sous forme de catéchisme libéral. Ce n’était qu’une machine de guerre destinée à faire brèche au pouvoir et à l’envahir au nom de la faction royaliste pure.

Dans toute cette partie de sa carrière (de 1815 à 1820), M. Chateaubriand fit preuve d’un grand talent d’écrivain, d’une passion incandescente, d’une assez grande habileté de tactique, et il travailla plus que personne à pousser la Restauration hors de la ligne modérée et à l’attirer dans des voies qui n’étaient nullement celles du juste-milieu. Tant que Louis XVIII vivrait, il était douteux pourtant qu’il réussît, lui et les siens, à envahir le pouvoir, lorsque l’assassinat du duc de Berry vint lui mettre en main à l’improviste un argument dont il s’arma sans pitié. Cet homme, qui s’est vanté depuis de n’avoir aucune affection pour les races royales, se déploya alors dans tout l’appareil de la sensibilité, se pavoisa de toutes les couleurs de l’oriflamme, pour exploiter politiquement, et au profit d’un parti, ce grand deuil monarchique. Le ministère Decazes succomba sous le coup : « Ceux qui luttaient encore contre la haine publique, écrivait Chateaubriand dans un fameux article du Conservateur (3 mars 1820), n’ont pu résister à la publique douleur. Nos larmes, nos gémissements, nos sanglots ont étonné un imprudent ministre : les pieds lui ont glissé dans le sang ; il est tombé. »

Cette parole contre un homme aussi modéré que M. Decazes a pu paraître atroce. Sachons pourtant