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CHATEAUBRIAND.

j’ai résisté depuis Gand. » — « Sire, je ne fais qu’obéir à vos ordres ; pardonnez à ma fidélité : je crois la monarchie finie. » Sur quoi le roi aurait répondu : « Eh bien ! monsieur de Chateaubriand, je suis de votre avis. »

Je ne sais si cette conversation se passa exactement dans ces termes ; mais, en les admettant pour exacts, je retrouve là encore une preuve que Chateaubriand n’était pas un véritable homme politique. Quoi ! le roi le met sur la nomination de Fouché, et, au lieu de dire ses raisons, de montrer les inconvénients et les suites, d’indiquer les moyens de se passer ou de se débarrasser de ce choix funeste, il demande d’abord à se taire ; puis il ne parle que pour dire : La monarchie est finie. Il passe d’un excès à l’autre. Tout ou rien, c’est sa devise. Rien de plus opposé au génie politique, lequel, au contraire, cherche à tirer le meilleur parti des situations les plus compromises, et ne jette jamais, comme on dit, le manche après la cognée.

De dépit, et bien que son titre de ministre d’État lui imposât quelques devoirs de retenue, il se lança aussitôt dans l’opposition, dans celle de droite, et il y fit sa pointe. Ses écrits, ses actes de ce temps doivent s’étudier, non point selon l’interprétation posthume qu’il en a donnée, mais dans l’histoire même et aux sources. L’irritation de se voir évincé du pouvoir au moment où il avait cru le tenir, le poussa à partager et à exciter de son talent tous les excès de réaction que réclamait la Chambre de 1815. Il commença par demander la suspension de l’inamovibilité des juges pour une année, afin de voir qui était royaliste en jugeant, et qui ne l’était pas. Tous les ministères de conciliation et de transaction qui s’essayèrent alors l’eurent pour adversaire implacable. M. Decazes (c’est tout simple), comme favori du maître, n’obtint que ses injures : mais le noble duc de