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CHATEAUBRIAND.

Il se présente à nous dans ses Mémoires comme très-dégoûté de la partie dès 1814, songeant à rentrer dans la solitude, à se retirer aux bords de ce lac de Genève, où il s’en ira toujours sans pouvoir y rester jamais. Que de fois il nous a rappelé ce vers, qui semble fait pour lui à la lettre :

Le vicomte indigné sortait au second acte !


Ici, il voulait sortir dès le premier. Mais Mme de Duras, « qui m’avait pris sous sa protection, dit-il, fit tant, qu’on déterra pour moi une ambassade vacante, l’ambassade de Suède :


« Louis XVIII, déjà fatigué de mon bruit, était heureux de faire présent de moi à son bon frère le roi Bernadotte. Celui-ci ne se figurait-il pas qu’on m’envoyait à Stockholm pour le détrôner ! Eh ! bon Dieu, princes de la terre, je ne détrône personne ; gardez vos couronnes, si vous pouvez, et surtout ne me les donnez pas, car je n’en veux mie. »


Qu’est-ce donc, je vous prie, que tout ceci veut dire ? Ne croirait-on pas, en vérité, qu’on lui a offert une couronne et qu’il a eu toutes les peines du monde à s’y dérober ? Oh ! que voilà bien le poëte, le René que nous connaissons, lequel, au moindre obstacle, au moindre retard dans l’accomplissement de son désir, se dégoûte, fait le dédaigneux et le superbe, et menace de s’en retourner comme devant, au Canada ou dans les Florides ! Tel il se présente à nous dans toute la partie politique de ses Mémoires. Aux moments les plus critiques et les plus décisifs, il fait le désabusé et le rêveur ; Il se met à causer avec les corbeaux perchés sur les arbres du chemin, avec les hirondelles, avec l’abeille. C’est là le propre des poêles, et c’est aussi leur charme quand ils le font simplement, avec naturel, avec innocence ; mais quand